«La pile de papiers imprimés opère plutôt, quant à elle, sur le mode du tombeau poétique : une forme écrite honorant la mémoire de proches disparu·es. (...) ici sont collectées des photographies de personnes ayant existé, qui ont franchi cette barre de transition, cet « entre » qui est aussi un ailleurs donnant accès à un mode d’être au monde pulvérisant l’unité (car c’en est une) du binaire.
Accompagnant chaque photographie, une épitaphe : « Missing you so much ». En français, c’est toujours l’autre qui manque. En anglais, c’est moi qui manque de l’autre : « I miss you ». Pour Pauli, si ce sont des personnes qui manquent, c’est aussi le manque d’elleux qu’il désigne. D’abord, parce que l’histoire culturelle les a loupé·es, tout occupée par les « Grands hommes », avant d’intégrer des femmes dans le canon masculiniste, mais sans laisser une chance au trouble. C’est toujours la même chose. Tu me manques, parce que je t’ai manqué·e; ou plutôt, parce que j’ai été manqué·e de toi : dans ses études d’histoire de l’art, Pauli n’a pas entendu prononcer les prénoms et les noms écrits au verso de ces feuillets, ni dans ses conversations familiales. Dans le désordre défilent les nom : Octavia Butler ; Marlow Moss ; Claude Cahun et les autres. Pour Pauli, l’identité ou la non-identité qu’iels ont ou n’ont pas préférée en leur temps importent moins, que ce manque qu’iels suscitent rétrospectivement. « Je ne pouvais pas me trouver moi-même dans l’histoire. Personne comme moi ne semblait avoir jamais existé. », écrit Leslie Feinberg. La multiplication de chaque personne compose une pile destinée aussi à partager et disséminer le manque.»
Elisabeth Lebovici
Extrait de «Préfiguration», exposition personnelle Blue Hour